quinta-feira, 22 de maio de 2014

O LADO BOM

Au Brésil, l’incroyable richesse de la gastronomie amazonienne


A la fois traditionnelle et novatrice, la cuisine de l’Etat du Pará, au cœur de l’Amazonie brésilienne, séduit chefs et amateurs du monde entier. 
L'une des entrées du marché du Ver-O-Peso
L'une des entrées du marché du Ver-O-Peso
Tout commence au Ver-o-peso (littéralement "voir le poids") de Bélem, la capitale de l’Etat du Pará, au beau milieu de l’Amazonie brésilienne. Ce marché en plein air - le plus grand d'Amérique Latine - s'étale le long du fleuve Amazone depuis la fin du XIXe siècle, lorsque Belém est devenue la capitale du caoutchouc, auquel elle a dû sa prospérité. Comme tous les matins depuis trente-deux ans, Ivanilde Sousa est arrivée au Ver-o-Peso à cinq heures du matin, en suivant le même rituel. Ce petit bout de femme de 66 ans, le visage barré par les rides, un sourire imperturbable aux lèvres, connaît les lieux comme sa poche. Après avoir déposé ses affaires derrière son stand numéro 148, elle file choisir ses poissons, fraîchement pêchés dans les eaux troubles de l’Amazone.
Repos après une longue nuit de pêche
Repos après une longue nuit de pêche
Dans le port voisin, des bateaux en bois d’un autre temps reviennent les uns après les autres d’une nuit de pêche dans les igarapés, ces méandres du fleuve qui fourmillent de poissons. Le soleil se lève à travers les nuages mais Ivanilde n’y prête pas attention, elle arpente de long en large le marché à la recherche des derniers ingrédients dont elle aura besoin pour sustenter les dizaines de clients qui se presseront derrière son comptoir. Ivanilde est  une barraqueira, une cuisinière de la partie restauration du Ver-o-Peso. Autrefois, elle était coiffeuse. Alors qu’elle voulait refaire sa vie, un ami l’a convaincue de vendre sa maison et d’acheter ce « box ».  Elle ne s'est guère fait priée : elle aime la cuisine depuis sa plus tendre enfance, gardant le souvenir des spécialités du Pará que lui mitonnait sa mère.
Le cœur de la cuisine paraense
A peine a-t-elle le temps de finir ses courses. Sac de riz et herbes dans une main, piments et poissons dans l’autre, elle doit se mettre au travail. A six heures, les habitués - pour la plupart, des travailleurs du coin, pêcheurs, ouvriers ou commerçants - affluent vers les 150 barracas du Ver-o-Peso, pour engloutir untacaca, une soupe de crevette traditionnelle à consistance gluante. Symbole de l’identité paraense, le tacaca et ses vendeuses, les tacacazeiras, que l’on trouve à chaque coin de rue du centre décrépi de Belém, ont été classée "Patrimoine culturel immatériel du Pará", en novembre 2013, par l'Unesco.
Ivanilde Sousa sert derrière son stand. Au menu, açai com peixe, pato tucupi et bien d'autres spécialités locales pour 6 reais (1.85 euros)
Ivanilde Sousa sert derrière son stand. Au menu, açai com peixe, pato tucupi et bien d'autres spécialités locales pour 6 reais (1,85 euro)
Dans son stand de 5 mètres carrés qu’elle tient seule, Ivanilde Sousa ne sert que des plats régionaux. « Les habitués n’aiment que ça, et les touristes raffolent de ces saveurs qu’ils n’ont pas chez eux, que ce soient les Brésiliens ou les étrangers. Ici, c’est tradition ou rien », plaisante Ivanilde. A moitié cachée par des montagnes de nourriture, elle énumère, tout en s’affairant derrière les fourneaux, ses spécialités aux noms mystérieux  : « pirarucu frit à l’açai, (la baie d’un palmier du bassin amazonien), canard au tucupi, soupe de poissons de fleuve, tacaca. Tout ça pour seulement 6 reais », soit 1,85 euro.
Sur le marché, on trouve une profusion de fruits et légumes de toutes les couleurs
Sur le marché, on trouve une profusion de fruits et légumes de toutes les couleurs
Autour d’elle, les 1 300 commerçants du marché ont peu à peu pris place. Il est à peine 7 heures et le Ver-o-Peso est noir de monde. On y trouve de tout : fruits, légumes, plantes, poissons, piments venus de toute la région, formant un spectacle multicolore de produits locaux. Rien n’est importé, tout est frais. « Nous sommes fiers de nos ingrédients, nos plats font partie de notre identité », insiste Ivanilde Sousa. Je ne m’imagine pas préparer autre chose que ma cuisine paraense traditionnelle. De toutes façons, ça ne plairait pas. Et puis, il n’y a pas d’autres endroits au Brésil où l’on peut manger une cuisine plus traditionnelle qu’ici. Elle est le cœur de la cuisine amazonienne ».
Un stand vend des farines en tout genre: tapioca, surui, farofa.
Un stand vend des farines en tout genre: tapioca, surui, farofa.
Un patrimoine gastronomique unique
Ce n’est pas Daniela Martins qui la contredira. A quelques centaines de mètres, dans la chic Estaçao das Docas (les anciens docks reconvertis en complexe touristique et culturel), cette femme de 37 ans tient l’un des restaurants les plus réputés de Belém : le La em casa (A la maison). Ici aussi, on ne sert que du traditionnel. La chef n’est autre que la fille de Paulo Martins, le grand cuisinier qui a révélé au Brésil et au monde entier les produits d’Amazonie. « Le Pará a la gastronomie la plus brésilienne qui soit. Contrairement au reste du pays, elle n’a été que très peu influencée par le colonisateur ou par la cuisine africaine », souligne Daniela Martins.  L’Amazonie est immense et nous avons une variété de fruits, légumes, plantes et poissons quasi infinie. Je crois qu'on ne connaît qu’un tiers des ingrédients de la région utilisables pour la cuisine. On n’imagine même pas la diversité d’aliments que l’on peut encore découvrir: 2000 ou 3000, d'après moi. Notre patrimoine gastronomique est très riche et la forêt recèle tant de secrets ! ».
Daniela Martins en cuisine, vérifiant la texture du Tucupi.
Daniela Martins en cuisine, vérifiant la texture du tucupi.
La base de la cuisine amazonienne est le manioc, dégusté de la feuille à la racine. Il est utilisé dans la grande majorité des plats de la région, comme la maniçoba, un ragoût de feuilles moulues et bouillies accompagné de viande de porc ou de bœuf. On extrait des feuilles de manioc le fameux tucupi, un condiment juteux jaune présent dans une bonne moitié des plats typiques de la région. Le jambu est l’autre ingrédient incontournable. Cette plante, à situer entre l’épinard et la roquette, surprend au premier abord. En quelques dizaines de secondes, elle picote puis anesthésie totalement la langue et les lèvres. Une sensation particulière appréciée des locaux qui la consomme à toutes les sauces.
Des feuilles de Jambu, cette plante au goût surprenant pour les non-initiés.
Des feuilles de jambu, cette plante au goût surprenant pour les non initiés.
Daniela Martins fait découvrir ces spécialités locales dans un  « menu spécial ». On y trouve aussi toutes sortes de poissons aux noms exotiques : tucunaré, pirarucu, piranha ou filhote, un des meilleurs poissons de la région qui peut peser jusqu’à 300 kilos et que l’on déguste en médaillon au Là em casa.
De la maison à la table
L’histoire du Là em casa va de pair avec l’essor de la gastronomie paraense sur le territoire brésilien et à l’étranger. En 1972, Paulo Martins ouvre un restaurant pour sa mère, au sous-sol de la demeure familiale, à Belèm. "Victime" de son succès, il déménage dans une salle plus grande puis s’installe en 2000 dans les anciens docks pour bénéficier de l’affluence touristique. C’est à cette époque que Paulo Martins décide de faire connaître les merveilles de sa région. « Mon père, décédé en 2010, a toujours cru en les ingrédients amazoniens », se souvient Daniela Martins. Pionnier, il entreprend de présenter les produits du Pará dans tout le Brésil, lors de festivals de gastronomie, surprenant les chefs du sud du pays. Il va jusqu’à braver les interdictions douanières et apporte ses aliments frais en Espagne. Il séduit le grand chef catalan Ferran Adria, qui viendra à Belém découvrir cette culture culinaire inconnue des Européens. La gastronomie du Pará a alors commencé à gagner ses lettres de noblesse.
Estação das Docas, les anciens docks réaménagés en complexe touristique avec restaurants, magasins... De la terrasse, la vue sur l'Amazone est spectaculaire.
Estação das Docas, les anciens docks réaménagés en complexe touristique avec restaurants et magasins. De la terrasse, la vue sur l'Amazone est spectaculaire.
Il lui restait encore à être pleinement reconnue dans son propre pays. « La faute à une absence de tradition culinaire au Brésil », selon Thiago Castanho, 26 ans, chef du Remanso do Bosque, le meilleur établissement de Belém, classé à la 38e place des restaurants d’Amérique Latine en 2013 par la revue britannique RestaurantLa cuisine brésilienne se dégustait à la maison. C'était un repas du quotidien, pas un plat que l’on s’attendait à voir sur une table de restaurant. Les gens voulaient de la cuisine française ! Mais grâce à Paulo Martins, nous nous sommes rendus compte de la richesse des ingrédients locaux et avons commencé à les valoriser », se félicite Thiago Castanho.
Thiago Castanho, chef du Remanso do Bosque, dans sa cuisine
Thiago Castanho, chef du Remanso do Bosque, dans sa cuisine.
Dynamique d’innovation
De la cuisine traditionnelle au restaurant Là em casa, en passant par le marché Ver-o-Peso, la gastronomie amazonienne a commencé à innover et à faire du neuf avec de l’ancien, sous l’égide de quelques chefs, dont Thiago Castanho. Après des études au Portugal, le jeune cuisinier est revenu prendre les rênes du restaurant ouvert par son père, seize ans plus tôt, l'historique Remanso do Peixe, situé au nord de Belém - une antique pizzeria dans la maison des parents, où est servie la cuisine typique du Pará. Il fonde ensuite le Remanso do Bosque, et y crée un laboratoire d’expériences culinaires. « Dans l’Etat de Pará, il y a beaucoup de produits mais peu d’innovation. Nous les cuisinons à la manière traditionnelle. L’idée est de les regarder différemment et d'exploiter les nombreuses possibilités qu’ils nous offrent. Il faut surprendre les habitués autant que ceux qui ne connaissent rien à la gastronomie régionale. Nous commençons à nous lâcher, à nous détacher de la tradition pour servir la création, mais toujours à base d’ingrédients locaux », dit-il.
Dans la cuisine du Remanso do Bosque, on s'affaire pour le service de midi.
Dans la cuisine du Remanso do Bosque, on s'affaire pour le service de midi.
Ainsi, la pupunha, fruit qui fait penser à une patate douce, est passée entre les mains des Castanho. Il en est sorti de la purée, de l’huile ou même du miel. « Nous sommes comme des scientifiques. Nous testons un ingrédient en suivant un carnet de possibilités de ce que nous pensons être réalisable ». De ces expériences a surgi un audacieux menu de dégustation, fait de plats originaux. Les papilles s’étonnent  face à une explosion de saveurs inconnues.
Leo Porto, Le facétieux inventeur de la cachaça de jambu. Au-dessus de lui, son portrait, entouré par d'illustres penseurs dont Newton, Da Vinci ou Descartes.
Leo Porto, le facétieux inventeur de la cachaça de jambu. Au-dessus de lui, son portrait, entouré par d'illustres penseurs dont Newton, Da Vinci ou Descartes.
L’innovation n'émane pas seulement des grandes tables. La créativité des cuisiniers locaux se manifeste à chaque coin de rue, dans de petits restaurants. Ainsi, on sert des hamburgers de maniçoba (ragout de feuilles moulues de Manioc) au Nine Burger, au nord de Belém, ou de la cachaça de jambu (plante anesthésiante) auMeu Garoto (Mon Garçon), un bar coincé à l’angle de deux ruelles pavées dans le centre historique. La recette que Leo Porto, le patron, a inventée en 2010 fait aujourd’hui fureur dans tout le Brésil, au point d’être devenue en à peine trois ans le souvenir typique à ramener du Pará. Thiago Castanho l’a même inclue dans sa carte des boissons.
Une gastronomie à l’assaut du monde entier
Fort de l'« explosion gastronomique » des dernières années, Belém et le Pará sont devenus une source d’inspiration pour des cuisiniers du monde entier. On ne compte plus les chefs brésiliens ou étrangers qui viennent découvrir ces mets inconnus. « La cuisine paraense est longtemps restée méconnue, constate Thiago Castanho. Aujourd’hui, les portes de l’Amazonie sont ouvertes et tout le monde veut s’y engouffrer ». Un avis partagé par Alex Atala, le plus célèbre des chefs brésiliens qui a contribué, aux côtés de Paulo Martins, au rayonnement de ces saveurs inconnues. Classé au sixième rang des meilleurs restaurateurs du monde en 2013 par Restaurant, il constate, dans un entretien accordé à l’AFP, que « l’Amazonie est la nouvelle frontière des saveurs. Sa richesse et ses possibilités sont infinies. Tout le monde connaît le mot Amazonie, mais personne n’y associe une saveur ». Et Daniela Martins de renchérir : « Il n’y a pas de goût de référence, c’est ce qui fait la force des ingrédients amazoniens ».
Tout comme le fleuve, la richesse de l'Amazonie est "infinie" selon Alex Atala.
Tout comme le fleuve, la richesse de l'Amazonie est "infinie" selon Alex Atala.
Le chef Mauro Colagreco, deux étoiles au Michelin, du restaurant Mirazur à Menton sert un dessert à base de chocolat du Pará. Le chef catalan Ferran Adria et le chef portugais Vitor Sobral, tous deux mondialement renommés, cuisinent des ingrédients amazoniens dans leurs menus. Laurent Suaudeau, chef français installé au Brésil depuis 1979 où il avait été envoyé par Paul Bocuse, est un des premiers à avoir utilisé ces aliments dans le menu du Saint Honoré à Rio de Janeiro. Aujourd’hui responsable d’une école de cuisine à Sao Paulo, il « continue de mettre en valeur ces produits surprenants, d’une extrême richesse ». « J’utilise la noix du Pará, le jambu, le tucupi, (jus jaune extrait des feuilles de manioc), le tucuma (le fruit d’un palmier local) et bien sûr l’immense variété de poisson », explique-t-il. C’est aussi le cas de Claude Troigros, chef du restaurant Olympe à Rio de Janeiro pour qui« cuisiner ces goûts et textures différents de tout ce que nous connaissons et uniques en leurs genres est un véritable défi créatif ».
Un stand du Ver-O-Peso qui vend entre autres, des "Castanhas-do-Pará", des noix du Pará.
Un stand du Ver-O-Peso qui vend entre autres, des "Castanhas-do-Pará", des noix du Pará.
« Nous, Européens, connaissons mal le Brésil, estime M. Suaudeau. Le Pará est un territoire passionnant mais il faut aussi aller voir du côté de l'Etat du Pernambouc ou des tribus Guarani du sud du pays par exemple. La grande cuisine brésilienne est en train de naître grâce à la prise de conscience des jeunes chefs de cet héritage incroyable. » 
Thomas Diego Badia, à Belém (Monde Académie)

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