sábado, 27 de agosto de 2011

LA VILLE ÉPHÉMÈRE

Nous partons de Tiznit au petit matin, après bout de pain et café sur le pouce. Voiture grosse et lourde. Je n´ai jamais eu le goût des voitures ni la mémoire des marques. Donc, tout simplement une grosse et lourde voiture. Qui sera rapidement couverte d´une  poussière talqueuse entre gris et marron. Il fait encore froid, mais nous savons que la chaleur de ce début de mai nous guette et nous tombera dessus à un prochain tournant. Nous longeons la mer mais ne la verrons jamais. Monsieur Ali - et oui... encore lui! – a réservé pour nous deux chambres dans le seul hôtel du village. 

En  principe, Antoine et moi partagerons une chambre et France occupera l´autre. 240 kilomètres de route puis de piste, contournant le bas des jupons dentelés de l´anti-Atlas. Non, les pierres que l´on voit prêtes à débouler sur les versants ne sont pas précieuses, bien que cette chaine conserve des trésors dans ses entrailles, et les quelques broussailles qui s´aventurent à pousser n’hébergent que de silencieux serpents, scorpions et sauterelles.
Le ciel est blanc. Nous dépassons Goulimine où, aujourd´hui      n´étant pas jour de marché, les chameaux sont rares.
           
Enfin nous arrivons.
Tan-Tan, en 1970, n´est qu´un gros village sans âge ni particularité, d´une dizaine de milliers d´habitants. Les bien modestes maisons semblent avoir été posées là, couleur de sable, sur le sable, par hasard, sans ordre préconçu. Débarquer dans le sans-étoile prendra deux minutes, juste assez pour constater les matelas étroits, durs et bosselés, les couvertures maigres et râpeuses. Leurs meilleurs clients doivent être des camionneurs sur le chemin de Nouakchott. Mes amis posent leur balluchon. Je préfère garder ma laine autour des reins et ma brosse à dents dans une poche.

Re-voiture pour quelques centaines de mètres et tout à coup, au creux d´une dune, la surprise d´une ville comme épineuse, scarabéenne, brune autant qu´éphémère, autour d´un immense espace ovale et sableux. Nous apprendrons qu´ici sont arrivés, pendant ces jours derniers, plus de cent mille nomades de plusieurs tribus. D´après Abdallah Mesfioui, qui signe la présentation du livre “Tan-Tan / les plus beaux moussems” (édité par Maroc Éditons), “Toutes les tribus sont présentes (…): Rguibat, Izerguiène, Oulad Dlim, Oulad Tidrarüe, Laârousiyine, Maâlaynine, Aït Lahcen, Aït Oussa, Iggout, Filala Toubbalt, Fouikat, Mejjat, Ouled Bousbâa, Oulad Bouaiata, Aït Buârane. D´autres tribus viennent même d´au-delà de la province, de Mauritanie, du rio d´El Oro, de Tindouf et du Sénégal”. Le spectacle est stupéfiant, inoubliable.  Derrière les longues et basses tentes rayées de beige et de marron, autant de chameaux que d´hommes, et, tant pis pour la couleur locale, camions militaires, voitures et cars, tous baignés et unis dans la même poussière. Question d´harmonie.


Resultado de imagem para FOTOS DE HOMENS AZUIS TUAREGS



Pendant que les pluies de cet hiver tropical tombent généreusement dans mon jardin, je clique mon Google pour constater qu´une autre inondation prouve que rien, hélas, n´est immuable. Tan-Tan est grosse aujourd´hui de 60.000 âmes. Tan-Tan possède un aéroport international et vous pouvez profiter de vols à tarifs réduits à partir de Paris et de Londres, logement inclus, ou louer une chambre avec possibilité de cuisine. Je devine des pizzarias, des annonces lumineuses, des bagnoles bruyantes et hautes sur pattes, des magasins pleins de made in China pour le plaisir dézieux. Sur les lieux du moussem, vos pieds ne toucheront plus la dune, désormais couverte de pudiques tapis pour votre confort, mesdames za talons hauts, et le moussem est inauguré par de nombreux messieurs en costume-cravates-lunettes noires.  Qui coupera le ruban? Il doit y avoir des guirlandes d´ampoules électriques, des microphones et des hauts-parleurs. Les lèvres me brûlent de demander si on doit payer aussi une entrée. Tout ça, c´est le prix à payer pour avoir été reconnu comme patrimoine mondial par l´Unesco. Je me pose parfois la question… Bon, passons à autre chose.


Resultado de imagem para FOTOS DE HOMENS AZUIS TUAREGS

Rapide retour en arrière de quarante ans. La fête est permanente. Ces hommes bleus et noirs au fin visage souligné d´un filet de barbe, ces femmes protégées dans leurs immenses cotonnades trempées d´indigo, lourds bijoux d´argent, qui ne montrent qu´un œil au regard fuyant, tous ont l´esprit en gaité. Depuis les tentes fusent les you-you-you, résonnent les tambourins.
Je n´ai pas réussi à en savoir long sur l´homme, mort en 63, qui a motivé un tel rassemblement. De même que les dates du moussem sont indiquées en décembre, mai, octobre, septembre ou janvier, certains disent de Sidi Mohamed Laghdof qu´il fut un saint homme, d´autres affirment que son aura est due à sa persistante opposition à la colonisation française. D´ailleurs les deux théories ne sont pas antagoniques. Nous avons bien Jeanne d´Arc!
Resultado de imagem para PHOTOS DE TAN-TAN

Monsieur Ali palabre avec un groupe d´hommes vêtus de belles djellabahs blanches qui semblent décider de notre sort, viennent nous saluer et nous dirigent courtoisement vers la plus grande tente, celle qui apparemment est celle des notables. Il est évident que la présence d´Antoine motive tous ces salamalecs. J´ai oublié de vous dire qu´Antoine de Bourbon-Sicile a un passeport où figure son titre de prince royal et est l´oncle de Juan Carlos, futur roi d´Espagne. Il a, pour ce court séjour, abandonné Cascais, Lisa (née princesse de Wurtemberg) et leur nombreuse descendance. Nous voici donc tous trois assis entourés de notables, sur les divans les plus confortables, adossés à de somptueux coussins brodés, pieds nus sur des tapis de haute laine. Sur les tables basses défilent de grands plats ronds en céramique de Safi et de Fes vers lesquels nous plongeons trois doigts gourmands. Pastillas, couscous, tagines, salades, douceurs de miel et d´amandes, tout ce que nous aimons et qu´en 1875, l´Italien Edmundo de Amicis déclarait pourtant être immangeable.


Resultado de imagem para PHOTOS DE TAN-TAN

Devant nous une double file d´hommes chantent en frappant leurs tambourins et scandent de leurs pieds. Une autre file de femmes, dévoilées celles-ci, chante et claque des mains. Longtemps la fête continuera pendant que dehors la fantasia remplit l´air de coups de fusils et de fumée blanche. Ici ce sont les chameaux qui courent. France de Brito e Cunha, ma plus vieille amie – nous nous sommes connus au lycée français de Lisbonne, a laissé le court de golf d´Estoril et sa jolie fille Sophie aux soins de la vicomtesse mère, pour les dunes sahariennes et croit vivre un film d´aventures. Son sourire n´est interrompu que par de discrets rires d´émerveillement. Pas de touristes, mais déjà quelques photographes.

La nuit tombera vite et je choisis de dormir frileusement enroulé dans des tapis plutôt que de retourner vers le boui-boui tristounet du bourg. Longtemps je me promènerai entre les milliers de tentes tissées de poils de chameaux qui s´endorment sous le ciel, indigo lui aussi, comme ces minces et nonchalants touaregs, et piqué d´étoiles semblables aux lampes à kérosène qui allongent les silhouettes sur le sable maintenant froid...
Je ne retournerai pas à Tan-Tan.







Nenhum comentário:

Postar um comentário

Related Posts with Thumbnails